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Qui veut la peau du patrimoine syrien ?

Depuis le mois de mai et la prise de Palmyre par l’Etat Islamique, les destructions du patrimoine antique attirent l’attention des médias. Mais les djihadistes de Daesh ne sont pas les seuls à piller et à dézinguer les monuments syriens depuis le début de la guerre civile. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le phénomène ne date pas d’hier.
 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le lundi 31 août 2015, l’ONU confirmait la destruction du Temple de Bêl à Palmyre. Et en moins de deux, la nouvelle faisait le tour des médias occidentaux. Véhiculant l’idée que l’EI détruisait à lui seul l’ensemble du patrimoine syrien. Seulement voilà : si les djihadistes de Daesh sont en effet les principaux destructeurs du patrimoine syrien, ils ne sont pas les seuls pour autant. En septembre dernier, une étude américaine menée par des spécialistes d’archéologie du Moyen-Orient, publiée dans le journal Near Eastern Archaeology et s’appuyant sur l’analyse de données satellites portant sur près de 1 300 sites, venait mettre en lumière les différents auteurs de la destruction des monuments.

Selon l’étude, le groupe terroriste serait effectivement le principal acteur du conflit syrien à se livrer à des destructions majeures : près de 43 % des dégradations menées par Daesh pourraient ainsi être considérées comme massives, contre environ 23 % pour les zones détenues par le régime, 9 % sur les sites contrôlés par les Kurdes et 14 % sur les sites contrôles par des groupes d’opposition.

 

 

 

 

 

 

"La plupart des troupes de Daesh sont des types qui viennent d'Occident et du Maghreb. Donc la Syrie, ils n'en ont rien à faire", souligne Annie Sartre, épigraphiste spécialiste du patrimoine syrien. "Ils ont décidé de détruire tout ce qui est idolâtre. Et comme ils savent qu’en plus, ça fait de la peine à l’Occident, pourquoi se gêner ?" Selon Annie Sartre, les destructions causées par l’EI à Palmyre résultent de la proximité symbolique de ce site avec le régime. "Palmyre et le régime étaient liés. L’Arc de Palmyre était sur les billets de banque. C’était une espèce de vitrine pour le régime, on y emmenait les chefs d’Etat", poursuit-elle.

Etat Islamique, armée syrienne et opposition

Mais l’EI n’est pas le seul acteur de la destruction du patrimoine syrien. Selon l’étude américaine, environ 26 % des sites ont été pillés dans les régions tenues par les Kurdes ou par d’autres groupes d’opposition. Un peu plus de 16 % des sites endommagés l’ont été dans des zones sous contrôle du régime contre 20 % dans les zones tenues par l’Etat Islamique.

 

La plupart des destructions sont liées à l’intensification des conflits depuis 2013, année du classement des sites du patrimoine syrien dans la liste du patrimoine en péril de l’UNESCO. "Mais dès 2011, l’armée syrienne occupait le site de Palmyre, le Crac des Chevaliers ou la citadelle d’Alep", assure Annie Sartre. "En Syrie, depuis le début de la guerre, on se bat systématiquement dans les sites historiques car ils constituent des points stratégiques". Et ce, malgré une directive de l’UNESCO qui interdit aux armées de se battre sur les sites classés.

 

Est-il possible d'endiguer ces réflexes guerriers ? Certes, l'armée du régime a été formée à la protection du patrimoine par l'UNESCO, qui organise régulièrement des conférences de sensibilisation. Mais "il faut bien comprendre que la logique militaire est différente de la logique civile. (...) La hiérarchie est très importante. Si on n’obéit pas aux ordres militaires, il peut y avoir des réprimandes", explique Khalid Ermilate, membre de la section des traités relatifs à la protection du patrimoine culturel de l’UNESCO. "Mais la formation des militaires reste primordiale", assure-t-il. "Un soldat qui avait été envoyé au Kosovo m’avait expliqué avoir été placé dans un bataillon pour protéger une église. Quelques années plus tard, il a réalisé son erreur : en fait, en se plaçant là en tant que militaire, il avait fait de l’église une cible"

"A Palmyre, les pierres volent la nuit"

Les pillages de ces sites historiques remontent à bien avant 2011. "C’était en quantité moins industrielle parce qu’il y avait tout de même quelques inspecteurs des antiquités sur les grands sites, mais tout le monde a essayé de se faire du fric en pillant les monuments", témoigne Annie Sartre, qui travaille sur la Syrie depuis près de quarante ans.

 

 

 

 

 

Selon elle, la dégradation des sites résulte du manque de volonté des autorités syriennes et de la nature du régime de Bachar al-Assad. "Il faut rappeler que c'était une dictature, il y avait un parti, le parti Baas, qui était hyper puissant. Il suffisait que vous apparteniez au parti ou qu'on vous soupçonne d'appartenir au parti pour qu'on ne vous touche pas. Le type qui montait avec son 4x4 vitres fumées et qui faisait ses brochettes au pied des tours, personne n’allait le déranger". Un avis partagé par une archéologue, experte du Proche-Orient. "Il y avait une expression très répandue : "A Palmyre, les pierres volent la nuit". C’est parce que l’armée pillait les sites par hélicoptère. Parce que pour piller ce site à l’époque, il fallait être proche du régime. Et ce vandalisme était de notoriété publique."

 

Vers une prise de conscience civile ?

Dans la période ayant précédé le début de la guerre, le patrimoine syrien était aussi menacé par l’aménagement du territoire, l’exode rural et le comportement des populations civiles à l’égard de certains monuments. "Vis-à-vis des antiquités gréco-romaines, ils avaient un moindre respect. Ils avaient tendance à se dire : "Ce n’est pas islamique, ce n’est pas notre histoire". Et dans certaines villes mortes de Syrie du Nord, les gens occupaient les ruines, avaient tendance à construire des murs en béton pour se séparer du voisin", commente Annie Sartre. Avant de souffler, avec une lueur d'espoir dans la voix : "maintenant, il y a une prise de conscience que ce patrimoine leur appartient… C’est peut-être la seule bonne chose qu’on pourra tirer de cette guerre."

"Ils ont décidé de détruire tout ce qui est idolâtre"

"Tout le monde a essayé de se faire du fric en pillant les monuments"

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